En passant le mot au « lavoir », comme l’écrit le poète et théoricien de la poésie Jean-Marie Gleizes, Dufresne lave le terme de violence pour nous faire détourner le regard des simples dégradations s’étant produites lors des manifestations des Gilets jaunes, afin de pointer du doigt celles de la police, soutenue par un ordre politique mettant en place des réformes néolibérales attaquant toujours les plus précaires d’entre nous.
Cette iconothèque a besoin, pour avoir une efficience politique, de circuler le plus possible, d’être liée à d’autres images et d’être mise en discours. C’est d’ailleurs cette circulation qui permet à Dufresne de récolter encore plus d’images, et de renforcer ainsi l’implacabilité de la réalité des violences policières. L’auteur devient alors le serviteur, ou le médium de circulation, de ces images qui exigent toujours plus de circulation et de viralité au sein de notre système médiatique. C’est dans cette dynamique que l’on peut analyser le caractère protéiforme du travail de Dufresne. Chaque publication, sur Twitter, sur Mediapart, en livre, en film, est l’occasion de créer de nouveaux publics pour ces images.
La mise en scène des vidéos dans le film Un pays qui se tient sage semble nous indiquer trois directions d’interprétation du lien qu’entretient l’auteur, mais également de chacun d’entre nous, avec elles. Dans le film, les images sont en effet projetées sur un grand mur d’une pièce plongée dans l’obscurité, dans laquelle discutent les invités. Trois motifs esthétiques en découlent. Tout d’abord, les images sont projetées sur les individus. Ils entrent ainsi dans les images. Elles les recouvrent, les engloutissent. Comme il s’agit d’une projection, si l’image est sur eux, elle n’est plus sur la surface de projection. Ainsi, un trou se crée dans l’image. Ce trou noir, c’est celui de l’histoire des mutilés des violences policières exposées dans le film. Ces mutilés doivent alors remplir ces trous, car les images des violences policières ne peuvent qu’occulter les vies des personnes représentées. Elles ne sont réduites qu’à être les victimes d’actes de violence, sans paroles, sans histoire, et même sans nom. Le travail politique et humaniste de Dufresne consiste alors à remplir ces trous en demandant aux mutilés de raconter leur histoire, leurs pensées, la suite de tout ce qui est dans le hors-champ de la vidéo. Le film nous dit son refus de réduire ces personnes à des images qui ne peuvent pas être totalisantes. Elles nous échappent en effet toujours et il faut sans cesse tenter de les remplir d’histoires individuelles, de discours et de mise en réseau. Le dernier motif présent dans le film de Dufresne est celui du reflet des images qui éclairent le visage et le corps des intervenants. Les images les éclaboussent, tout comme elles nous éclaboussent nous-mêmes une fois que nous les avons vues. Elles nous demandent ce que nous allons faire d’elles, et nous enjoignent, à l’instar de Dufresne, à devenir leur médium de circulation, afin de toujours donner à voir cette image systémique des violences policières.