Quelle inépuisable source d’inspiration littéraire, cette affaire de Tarnac ! Autour des démêlés judiciaires du groupe de Julien Coupat, soupçonné d’avoir saboté des lignes de TGV en 2008, après le manifeste L’insurrection qui vient, et après l’OVNI Tomates, de Nathalie Quintane, voici maintenant un récit, Tarnac, magasin général (Ed Calmann-Lévy), par le journaliste et écrivain David Dufresne. Quatre ans après, il ne s’agit pas d’un classique livre d’enquête sur ce fait-divers, d’un intérêt somme toute mineur. Il s’agit de tout autre chose. L’exploration d’un grand bazar, encombré de politiques en quête d’annonces fracassantes, de grands chefs policiers en concurrence de territoires, de journalistes en mal de scoops, et de jeunes intellos perdus entre provocations littéraires et ponts surplombant les voies ferrées. Au milieu du bazar, donc, un explorateur. Récit à la première personne, le livre de Dufresne est un objet inclassable. Si l’on sent bien que les sympathies de l’auteur le portent plutôt vers « les Tarnac » que vers l’appareil d’Etat, il donne longuement la parole au juge d’instruction, et au patron de la DCRI Bernard Squarcini, autant qu’aux jeunes mis en examen. Dufresne explore leurs logiques, leurs motivations, et en livre des portraits détachés de toute caricature. Dans cette véritable guerre, ses allers et retours d’un camp à l’autre, ses efforts pour résister à la tentation de l’embrigadement, au point parfois de ne plus savoir où il habite lui-même, sont un des plus puissants ressorts du livre. Quand on « ne sait plus où on habite », à force de se glisser dans des logiques opposées, comment retrouve-t-on ses repères ? « On écrit », répond simplement Dufresne. DS.
Source : émission Arrêt sur images — 6 mars 2012. présentée par Daniel Schneidermann, et déco-réalisée par François Geffrier et François Rose.