Notes de lecture

Castaner, le « kéké de la République », l’IGPN et Allo Place Beauvau

Par David Dufresne, 2 mars 2020 | 5251 Lectures

Le titre est cruel ; la biographie, moins. « Christophe Castaner, le Kéké de la République »1 est le fruit de dizaines d’entretiens, écrit dans une certaine urgence. On imagine l’angoisse des auteurs, Pauline Théveniaud et Jérémy Marot (elle, du Parisien ; lui, de l’AFP), tant les incertitudes planent sur la date de péremption de leur sujet : passerait-t-il l’hiver ? Le chapitre ? Ou même la page ?

Les proches de Christophe Castaner lui lancent des pics (les deux frères, pas toujours tendres) ; et de nombreux autres, anonymes, et qui veillent sur leur carrière, et n’ont pas attendu les réseaux sociaux pour déverser leurs confidences fielleuses, méritent peu d’attention (c’est le prix des offs dans ce genre de « livre politique »).

Grosso modo, on retiendra : chez Casta, « son job, c’est 95 % de la communication » (p.180), « c’est quelqu’un qui joue avec la presse. Il en connaît les codes, les règles, les acteurs. Il a une forme de rapport utilitariste avec les médias » (p.165), un Narcisse qui, faute de reflet d’eau, se « regarderait dans le journal ».

L’urgence est patente dans les dernières pages de la biographie, les plus nourries, consacrées au travail du ministre plutôt qu’à sa conquête/gestion du pouvoir. Dans le dernier quart, les #violencespolicières surgissent. Elles ruissellent chez Macron, à Beauvau, elles s’invitent dans les recoins, d’un paragraphe l’autre ; niées, une fois, cinq fois, systématiquement — sans surprise et sans saveur. Pour résumer le syllogisme à l’oeuvre : la police est républicaine, s’attaquer à elle c’est s’attaquer à la République, laquelle République doit se défendre.

Au fil des pages, se profile un Castaner à la fois sûr (il monte au front, sans état d’âmes) et dépassé. Première semonce, Didier Casas, haut fonctionnaire, un temps pressenti pour être son premier Laurent Nuñez, semble parler d’un autre que de l’actuel ministre de l’Intérieur dans le portrait type qu’il brosse de la fonction : « Ce qui est essentiel, c’est d’avoir des convictions fortes, un très grand sens de l’autorité, et la qualité qui prime par-dessus toutes les autres, c’est d’être capable d’avoir de la distance par rapport à ses fonctions, de faire la différence entre les policiers et soi-même. Les policiers exécutent et le ministre commande. Si vous n’êtes pas capable de créer cette distance respectueuse avec les troupes, vous allez toujours être à la remorque des décisions en matière de maintien de l’ordre. » (p.192)

Et la remorque, c’est ce que les biographes de Castaner semblent attacher : « Déduction tranchante, d’un ancien de la maison : [Castaner] achète sa légitimité » avec les syndicats de police, écrivent-ils (p. 199). Ces mêmes syndicats que le Ministre trouve un brin ingrats, lui qui leur obtint des primes en plein décembre 2018, au plus fort des affrontements dans Paris : « Gâteau avalé n’a pas de saveur, et ils sont un peu goinfres » ironise le patissier de la rue Cambacéres (p.193). Le bluff des syndicats, ce soir là, à la table-repas des négociations, est assez sucré-salé, en effet.

Le coup de grâce est porté p.200 : « Même les responsables syndicaux admettent que d’autres auraient été plus prudents dans leur soutien aux policiers, moins prodigues avec les deniers. « Castaner n’a pas pu avoir cette distance. Parfois, on est même surpris qu’il en fasse autant » avoue Frédéric Lagache (Alliance Police Nationale) qui (...) va jusqu’à estimer : « Pendant la période Gilet Jaune, il a fait notre boulot de syndicalistes. On n’avait pas besoin de monter au créneau. Il était là ! Il a tenu des propos qu’on aurait pu tenir, nous ».

Finalement, p.222, Christophe Castaner est prié de prendre position sur les signalements Allo Place Beauvau :

On lit, et on relit. « Je crois que le travail des enquêtes et des juges est plus solide »

On soupèse.

Croyance ? Solidité ? Plus, moins ? Plus comment, moins pourquoi ? Étrange choix des mots.

Comment interpréter cette sentence aigre-douce, recueillie en son bureau, par les deux auteurs du livre, en face à face : une petite phrase plus courte que sèche. Une petite phrase comme un recul sérieux par rapport à celle prononcée par le ministre sur France 2, le 17 octobre 2019, mettant en doute le travail d’Allo Place Beauvau (avant que son entourage ne rétropédale et évoque, dans les colonnes du Monde, une « confusion » de Castaner2) ?

Une petite phrase comme un hommage déguisé du vice à la vertu ? Un appel à poursuivre les signalements ?

Que le ministre de l’Intérieur en soit encore réduit, en février 2020, à « croire » ou à ne pas « croire » que le bilan de sa gestion du maintien de l’ordre se compte, a minima, en 26 éborgnés, 5 mains arrachées, et 2 morts (Steve Maïa Caniço et Zineb Redouane) laisse songeur.

Qu’il en soit réduit à appeler à la rescousse l’IGPN, tel un fusible moisi dont chacun voit bien qu’il ne fonctionne pas, démontre qu’après des mois de déni et de mensonges d’État, Christophe Castaner est plus que jamais solidement à bout d’arguments.

Cruel Edouard Philippe qui, et c’est rappelé justement dans « Le Kéké de la République », avait lui-même mis en cause le sérieux de l’institution, lors des conclusions de son enquête rendue le jour de la découverte du corps de Steve à Nantes3. C’est dire l’étendu du marasme.

1« Le kéké de la République » (Plon) de Pauline Théveniaud et Jérémy Marot, paru le 27 février 2020. Disponible sur LaLibrairie et ParisLibrairies

3La citation exacte du Premier ministre, prononcée sur le perron de Matignon le 30 juillet 2019 : est : « Plus de 5 semaines après les faits, le déroulement de cette soirée reste confus. Je ne peux évidemment pas m’en satisfaire. Selon l’IGPN, il n’y a pas de lien entre l’intervention des forces de l’ordre et la disparition de Steve selon le premier rapport qui a été rendu. J’ai décidé de saisir l’Inspection Générale de l’Administration pour aller plus loin. »

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