DADA, Inventeur du Web !

Par David Dufresne, 1er février 2017 | 5319 Lectures

C’est en Suisse que le Web a été mis au point. L’histoire officielle retient un nom, Tim Berners-Lee ; une date : 1989 ; et un lieu, le Cern, Genève. La vérité est toute autre. Le Web a bien été inventé en Suisse, mais à l’autre bout, et il y a bien plus longtemps, et personne ne le sait. C’était en 1916, à Zurich, au Cabaret Voltaire. Ce vendredi 5 février, ça fera cent ans pile.

Tout chez Dada, mouvement révolutionnaire, constitue le socle de notre culture moderne, sans frontière, ni centre, ni début, ni fin ; sans hiérarchie non plus. Cette culture de masse, à la fois hasardeuse et disruptive, au coin de la rue et insaisissable. Prenons ses photomontages : sont-ils autre chose, au fond, qu’une forme d’hypertexte avant l’hypertexte ? Le photomontage comprend tout et saisit le rien des époques. Il est copié et collé, mix et remix, sampling et sang neuf, il est furtif et aléatoire, il est Snapchat et Instagram, en guerre et en liberté, mass-media et mass-murder de la bêtise ambiante. De l’improvisation naît le chaos ; et du chaos, le plaisir. Plaisir de rire, et non de se moquer ; plaisir du choc et des sens, plaisir de « faire une chose belle et une joie pour toujours [à partir] d’éléments dont on n’attendait plus ni beauté ni joie » (Hannah Höch).

Poésie et comédie humaine

Prenons les publications dada, webzines avant la lettre, recueils d’actualité et de réflexions, de pensées et de colère, blogs sans façons, et scrolling sans arrêt, en marge des journaux dominants, déjà placés au plus près des pouvoirs. Que fait le Web aujourd’hui ? Il amplifie cette idée folle du tous-publiés, tous-émetteurs.

Et que dire de la poésie simultanée, immense appropriation dada ? Elle annonce exactement ce que nous sommes devenus : cacophoniques, bavards, petites bêtes connectées, égarées dans le doux confort des réseaux socio-poétiques. Dans En avant Dada (Berlin, 1920), Richard Huelsenbeck a tout dit : « Le poème simultané vous apprend le sens de l’entrecroisement de toutes choses. » Un siècle plus loin, en sommes-nous ailleurs ? Nos 140 signes en rafale ne disent rien d’autre que ça : « Un poème simultané ne signifie donc à la fin des fins rien d’autre que Vive la vie » (Huelsenbeck, toujours). Alors tout s’enchaîne. D’un monde en guerre mondiale (1916) à celui d’une mondialisation de la guerre sans nom (2016), le retour au son primitif demeure encore et toujours la seule issue possible. D’un tweetclash l’autre, tout n’est que poésie et comédie humaine. C’est déjà beaucoup, la beauté d’un smiley.

Aujourd’hui, comme en 1916, la technologie fait des bonds. Cent ans en arrière, c’était la photo, la presse, la photo de presse, les premières radios, les nouvelles chaînes de montage, la machine qui s’impose, et la guerre mécanique qui jubile, gaz moutarde et tranchées de boue, et Dada qui adopte et critique dans un même mouvement cette double culture, aujourd’hui triomphante : médias et machine. Kurt Schwitters découpait journaux et publicités, Max Ernst tailladait des catalogues de vente par correspondance, et Hannah Höch piochait dans les magazines féminins. Désormais, c’est YouTube, Facebook, Instagram. La différence : la couleur. La technologie ne compte pas, seule la technique prime. Découpons le Web comme Dada la vie.

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