Réunies à Poitiers, les Assises Internationales du Journalisme ont décidé de récompenser mon récit comme « meilleur ouvrage de l’année éclairant la pratique du métier dans la catégorie “Journaliste” ».
C’est un ami, un vrai, Antonin Lhote, de ceux capables de prendre le train pour un aller retour, et une nuit courte, pour aller chercher le prix, et le poser, au petit matin, à l’angle d’une rue où tout, ou presque, avait commencé.
C’est con, mais ça fait quelque chose.
« Je devais avoir quinze ans quand le téléphone avait sonné chez mes parents. Nous vivions à Poitiers, ville morne. Au bout du fil, la voix se voulait amicale, dans les limites basses du suave, c’était une voix d’homme qui fait son travail, sans passion ni tension. L’interlocuteur voulait me rencontrer au sujet de mon fanzine, Tant qu’il y aura du rock. Nous étions en 1984, ça explosait de toutes parts. Le rock alternatif, le rock industriel, le revival 60’s, il fallait bien occuper son temps, occuper le terrain, ne rien céder aux années fric qui allaient régner en maîtres et se foutre de nos rêves.
Au Havre, une partie des éditeurs de Guérilla urbaine, fanzine punk, avaient saccagé toute une rue. En tout cas, c’est ce que la voix m’assurait au téléphone. Ils avaient saccagé une rue, cabossé quelques bagnoles, ou bazardé une vitrine, je ne sais plus, et, sur les punks, les flics avaient retrouvé mon adresse. Alors, la voix au téléphone voulait me poser des questions « sur l’association Tant qu’il y aura du rock dont certains membres auraient commis des actes terroristes ».
Le lendemain, dans le bureau de la voix, ils étaient deux. Deux RG, deux Renseignements généraux ; un gentil, un méchant, bad cop, good cop. Sur le bureau, leur dossier estampillé Tant qu’il y aura du Rock était posé en évidence, épais, tout frais. Peut-être était-il vide, fait de feuilles vierges ou de feuillets sans rapport ? Peut-être avait-il été fabriqué à la va-vite ou mûrement alimenté de notes et de bribes éparses ? Il était impressionnant, j’étais impressionné.
Leur pouvoir me fascinait : qui étaient ces deux hommes pour sonder les âmes et les esprits, scruter les petits A cerclés dans un journal de lycéen libertaire ? Face à eux, du bas de mes quinze ans, je ne faisais pas le fier. Les mots résonnaient. Association. Actes terroristes. Membres qui auraient commis. Quelle était leur légitimité ? Pourquoi je les craignais à ce point ? Que pensaient-ils, au juste, du monde ? Comment agissait-il sur eux ; et eux sur lui ? Cet interrogatoire était une formation express sur les flics et sur la vie même.
Près de trente ans plus tard, je me rejouais le même face-à-face. Une vague envie d’emmerder, de renifler, d’être un chien fou, mais devenu vieux, mais devenu poli, l’envie de comprendre, de revivre ce moment de basculement où l’on perd des années en quelques minutes, où l’on devient adulte et à l’affût des fautifs qui vous ont propulsé chez les vieux. L’envie d’être au milieu d’eux, Place Beauvau, à la préfecture de police, dans les commissariats, ailleurs, et de leur dire : cette fois, je pose les questions. Cette fois, je convoque. Pure provoc. »
Tarnac, Magasin général p.52-53
Messages
4 octobre 2012, 15:49, par Le Monolecte
Je suis super contente pour toi, pour ce que ça représente pour ton boulot, et surtout, pour ce que ça représente pour le journalisme ! :-)
4 octobre 2012, 18:41, par Del Debbio
Tu le mérites amplement. Bravo à toi ! Christophe-E.
4 octobre 2012, 19:04, par Marc Laimé
Bravo David. On continue. Bises.
6 octobre 2012, 08:40, par Rebecca
Félicitations ! Magasin général est un super site :)
6 octobre 2012, 12:31, par LA BANIERE DU PERCHE
C’est beau et émouvant. Bravo et merci à toi pour ce que tu ecrit et ce que cela révèle de notre monde et de toi.
6 octobre 2012, 13:03, par C.Fortin
Toutes mes félicitations !! Quel joli pied de nez que tu aies reçu le prix à Poitiers !!! A une prochaine. Christelle.
6 octobre 2012, 14:24, par elbo
J’ai lu, j’ai aimé, je suis content de constater que mon avis n’était pas infondé. Juste récompense pour un authentique travail de journaliste, c’est si rare par les temps qu courent. Bravo, et keep on rockin’ !
6 octobre 2012, 15:26, par learn
un prix ?! c’est con je n’ai pas encore fini de le lire je l’aime bien. R*E*S*P*E*C*T
6 octobre 2012, 17:05, par temto.
Le seul name que je droppe encore, sur les zincs ou dans les salons, pour me vanter de mes relations : Davduf’. :D
7 octobre 2012, 19:34, par Marie Dumais
Bravo !!!! Outre la fierté du travail accompli, un prix c’est une reconnaissance et une belle carte de visite qui nous permet souvent de pouvoir CONTINUER et de savoir qu’une nouvelle aventure sera possible. J’ai à peine eu le temps de consulter Tarnac, magasin général.Je vais m’y mettre de suite et la diffuser. Je suis très contente pour vous. Marie
8 octobre 2012, 12:38, par christine T.
« “alors” » je dis bravo et aussi tant mieux. et quand est-ce qu’on se croise à Paname pour causer webdoc ? besoin de tes lumières. chris
9 octobre 2012, 22:29, par Rosa L.
Toutes mes félicitations