« Tarnac, magasin général » : Prix des Assises du Journalisme 2012

Retour sur les lieux du crime

Par David Dufresne, 6 octobre 2016 | 7947 Lectures

Réunies à Poitiers, les Assises Internationales du Journalisme ont décidé de récompenser mon récit comme « meilleur ouvrage de l’année éclairant la pratique du métier dans la catégorie “Journaliste” ».

C’est un ami, un vrai, Antonin Lhote, de ceux capables de prendre le train pour un aller retour, et une nuit courte, pour aller chercher le prix, et le poser, au petit matin, à l’angle d’une rue où tout, ou presque, avait commencé.

C’est con, mais ça fait quelque chose.

« Je devais avoir quinze ans quand le téléphone avait sonné chez mes parents. Nous vivions à Poitiers, ville morne. Au bout du fil, la voix se voulait amicale, dans les limites basses du suave, c’était une voix d’homme qui fait son travail, sans passion ni tension. L’interlocuteur voulait me rencontrer au sujet de mon fanzine, Tant qu’il y aura du rock. Nous étions en 1984, ça explosait de toutes parts. Le rock alternatif, le rock industriel, le revival 60’s, il fallait bien occuper son temps, occuper le terrain, ne rien céder aux années fric qui allaient régner en maîtres et se foutre de nos rêves.

Au Havre, une partie des éditeurs de Guérilla urbaine, fanzine punk, avaient saccagé toute une rue. En tout cas, c’est ce que la voix m’assurait au téléphone. Ils avaient saccagé une rue, cabossé quelques bagnoles, ou bazardé une vitrine, je ne sais plus, et, sur les punks, les flics avaient retrouvé mon adresse. Alors, la voix au téléphone voulait me poser des questions « sur l’association Tant qu’il y aura du rock dont certains membres auraient commis des actes terroristes ».

Le lendemain, dans le bureau de la voix, ils étaient deux. Deux RG, deux Renseignements généraux ; un gentil, un méchant, bad cop, good cop. Sur le bureau, leur dossier estampillé Tant qu’il y aura du Rock était posé en évidence, épais, tout frais. Peut-être était-il vide, fait de feuilles vierges ou de feuillets sans rapport ? Peut-être avait-il été fabriqué à la va-vite ou mûrement alimenté de notes et de bribes éparses ? Il était impressionnant, j’étais impressionné.

Leur pouvoir me fascinait : qui étaient ces deux hommes pour sonder les âmes et les esprits, scruter les petits A cerclés dans un journal de lycéen libertaire ? Face à eux, du bas de mes quinze ans, je ne faisais pas le fier. Les mots résonnaient. Association. Actes terroristes. Membres qui auraient commis. Quelle était leur légitimité ? Pourquoi je les craignais à ce point ? Que pensaient-ils, au juste, du monde ? Comment agissait-il sur eux ; et eux sur lui ? Cet interrogatoire était une formation express sur les flics et sur la vie même.

Près de trente ans plus tard, je me rejouais le même face-à-face. Une vague envie d’emmerder, de renifler, d’être un chien fou, mais devenu vieux, mais devenu poli, l’envie de comprendre, de revivre ce moment de basculement où l’on perd des années en quelques minutes, où l’on devient adulte et à l’affût des fautifs qui vous ont propulsé chez les vieux. L’envie d’être au milieu d’eux, Place Beauvau, à la préfecture de police, dans les commissariats, ailleurs, et de leur dire : cette fois, je pose les questions. Cette fois, je convoque. Pure provoc. »

Tarnac, Magasin général p.52-53

ABONNEZ VOUS AU BULLETIN ALÉATOIRE SOUS PLI DISCRET

Messages

Tarnac, magasin général

Tarnac : pourquoi le Parquet anti-terroriste fait rire (jaune)

En route !